Le sceptique : Qu’est-ce que tu penses du coaching interne? Est-ce la bonne approche pour généraliser les bénéfices du coaching professionnel au sein d’une entreprise? Personnellement je suis sceptique. Un individu ne peut pas se coacher lui-même : alors comment une organisation pourrait-elle se coacher elle-même? C’est un peu comme vouloir se regarder dans un miroir sans miroir, en imaginant le miroir ; ou la main droite qui prétendrait vivre sa vie à l’insu de la gauche…
Le convaincu : Oui, à première vue c’est paradoxale. Mais il ne faut pas oublier qu’un coach interne, ou une équipe de coachs internes, se voit souvent confier plusieurs missions : coacher proprement-dit, mais aussi référencer des coachs externes, veiller au bon déroulement des réunions tripartites, concevoir et organiser des coachings de groupe…
Le sceptique : Certes, mais cette situation reste tout de même bien compliquée à gérer. Pour pouvoir travailler efficacement et prévenir toute utilisation du coaching à des fins manipulatoires, le coach interne se doit aussi de rédiger une charte de déontologie spécifique. N’est-il pas plus simple de faire appel uniquement à du coaching externe sans s’embarrasser de ces considérations byzantines ?
Le convaincu : Je te concède que le coach interne doit définir encore plus finement son code de déontologie et le cadre de ses interventions parce que sa position particulière peut faire naître chez les prescripteurs une tentation plus grande de récupérer le coaching à des fins personnelles ou politiques. Mais un coach externe a lui aussi besoin de définir précisément le cadre de son intervention par une charte ou un code. A partir du moment où il intervient dans une entreprise, il devient partie intégrante d’un système ; il s’internalise en quelque sorte. On peut en effet supposer que la tentation de récupération est moins grande du fait de la distance du coach externe, mais cela reste à vérifier.
Le sceptique : Mais pour un coach externe, n’est-il pas plus facile de dire « non » à toute sollicitation allant à l’encontre de sa déontologie? Le coach interne lui, il joue son poste s’il refuse d’obtempérer à une demande qui sort du cadre.
Le convaincu : Ce n’est pas aussi simple. Un coach externe peut lui aussi être tenté de tordre le bras à ses principes pour pouvoir gagner son pain quotidien…
Le sceptique : Cependant, il peut toujours dire « non » et aller chercher d’autres clients…
Le convaincu : Le coach interne aussi ! Il peut démissionner, non? Mais bon, je conviens qu’il s’agit là d’une décision autrement plus difficile. D’ailleurs tu mets le doigt sur un point important. Un coach interne doit être solide, capable de faire preuve de courage, d’assertivité, de diplomatie. Si une tension se crée avec sa hiérarchie, le coach interne doit la vivre et y faire face tous les jours. Il est potentiellement plus exposé aux pressions, physiquement et psychiquement. Le coach externe a le bénéfice de la distance lorsqu’il s’agit de tenir sa position éthique.
Le sceptique : Pourquoi alors le coach interne prendrait-il le risque de coacher? Il pourrait se contenter d’être responsable du coaching et de gérer les coachs externes. Ou carrément se mettre à son compte comme coach externe et ainsi se soustraire davantage aux tentations d’instrumentalisation de l’organisation, non?
Le convaincu : Cette question pourrait nous entraîner dans un débat long et passionnant sur la vocation et la mission… Je préfère revenir sur un point que tu évoques et qui me parait important. J’aimerais te rappeler que le coaching, c’est toujours un jeu à trois acteurs : le client, le prescripteur et le coach. En coaching, le prescripteur ne peut pas être traité comme un simple bailleur de fond ou un maître d’œuvre. Il fait partie intégrante du processus de coaching et doit lui aussi être coaché.
Le sceptique : Coacher le prescripteur? Mais il n’a rien demandé lui!
Le convaincu : Si. Il a demandé un coaching. Et s’il voit ce coaching comme une simple pilule à faire avaler à un collaborateur, comme une super médecine du travail, et bien il faut prendre le temps de lui expliquer ce qu’il en est réellement. Il ne s’agit pas d’en faire un expert, ni de le coacher intensivement ou de l’assommer avec des concepts. Simplement, il faut partir du fait que s’il est prescripteur de coaching, c’est qu’il conçoit qu’un coaching individuel puisse avoir un impact sur le collectif.
Le sceptique : En effet. Le prescripteur a forcément des attentes pour lui-même et son organisation, que ces dernières soient exprimées ou non.
Le convaincu : Donc si le prescripteur est conscient d’attendre quelque chose du coach, pour lui-même et pour son entreprise, il lui est facile d’admettre que pour que le coaching « fonctionne » il lui faut lui aussi interagir de façon très concrète avec le coach.
Le sceptique : C’est logique. Il est obligé d’accepter qu’une interaction tangible et observable ait lieu avec le coach. Mais comment?
Le convaincu : En ce qui concerne le client, cette interaction se fait de façon régulière et suivie au travers des entretiens de coaching. Pour le prescripteur, et à travers lui l’entreprise, l’interaction se fait de façon ponctuelle avec un ou deux entretiens, et également de façon régulière et suivie avec la charte de déontologie précisément.
Le sceptique : Comment ça La charte de déontologie est un règlement, pas une interaction.
Le convaincu : Et bien… C’est un point de vue personnel en effet, mais je crois que la charte doit être posée comme la voix du coach qui parle en permanence à l’oreille du prescripteur et de l’organisation.
Le sceptique : C’est un peu fort là! Je doute que ce genre d’explication puisse convaincre grand monde.
Le convaincu : Peut-être… On peut faire plus simple alors. Disons que pour coacher, le coach est amené à utiliser différentes techniques et outils avec son client. Dans la réalité les outils seuls ne suffisent pas à faire un coach, mais admettons. Partant, la charte de déontologie est tout simplement un outil avec pour fonction particulière d’interagir plus spécifiquement avec le prescripteur et l’organisation dans son ensemble. Comme tous les autres outils, elle doit être totalement acceptée en l’état par tous les acteurs, sinon le coaching ne peut pas avoir lieu. Point. Oserait-on demander à un maçon de travailler sans sa truelle ou à un violoniste de jouer un concerto sans son violon? Non. C’est la même chose : pas de coach sans sa charte de déontologie.
Le sceptique : Le prescripteur n’est pas forcé d’adhérer à cette idée. Il peut en douter non?
Le convaincu : A ce stade de la réflexion, je crois que l’on peut faire appel à l’argument d’autorité. Le coaching est un métier de spécialiste qui fait appel à une forme d’expertise de l’humain. Le prescripteur a choisi de faire appel à un coach professionnel, formé par ses pairs dans les meilleures universités. Comme pour tout autre professionnel avec lequel il est amené à travailler, il doit à un moment donné lui faire confiance quant à la manière d’exercer son savoir-faire pour qu’il produise des résultats.
Le sceptique : C’est vrai. Je dois convenir que sans confiance, aucun travail sérieux, quel qu’il soit, n’est possible.
Le convaincu : Oui. Et le coaching est un travail très sérieux sur le bien le plus précieux : l’homme.